« Juifs, métèques, communistes » : qui étaient les FTP-MOI, ces étrangers amoureux de la France

« Juifs, métèques, communistes » : qui étaient les FTP-MOI, ces étrangers amoureux de la France

C’est un film d’archives qui révèle de nouveaux détails prouvant l’attachement des résistants étrangers communistes à la France. La preuve ? Ils ont donné leur vie pour elle, rappellent l’historien Denis Peschanski et le réalisateur Hugues Nancy.

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5min

Mise à jour le 19.02.24 à 16:00

Grégory M

« Manouchian et ceux de l’Affiche rouge » mardi 20 février à partir de 21 h 10 sur France 2.
© Archives de la Préfecture de Police de Paris

Fin connaisseur de l’histoire du communisme, en France plus particulièrement, Denis Peschanski travaille depuis quarante ans à mettre en lumière la Résistance à l’occupation allemande. Avec le réalisateur et scénariste Hugues Nancy (Nous les ouvriersColonisation, une histoire française), il raconte, à l’occasion de l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, accompagné de Mélinée, l’engagement des Francs-tireurs et partisans-Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI), ces « étrangers et nos frères pourtant » qui ont donné leur vie pour un idéal de liberté.

L’histoire peut sembler familière. Résumons-la. Missak, jeune orphelin du génocide arménien, va « développer un amour pour la langue de Molière, un attachement a la France des droits de l’homme, de la Révolution française » dans un orphelinat libanais, raconte Denis Peschanski.

Il arrive en 1924 dans une France en manque de bras. « Arménien, réfugié, communiste à partir du début des années 1930 et donc internationaliste, il est aussi chrétien : avant d’être exécuté, il a communié. » Une pluralité d’identités partagée avec ses camarades, qui contredit la version officielle du militant communiste granitique.

Manouchian demandera deux fois la nationalité française

Car avant même la fidélité au Parti communiste et à ses idéaux, c’est leur amour de la France qui prime chez ces étranges étrangers. Hugues Nancy a été particulièrement « frappé par la prépondérance de la Révolution française dans leur imaginaire ». Dans le film, on voit des images d’un album de photos prises par les prisonniers du camp de rétention de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, à la frontière espagnole : « En 1939, les anciens brigadistes fêtaient les 150 ans de la Révolution » alors qu’eux-mêmes étaient en rétention administrative…

Mieux, les recherches pour le film ont révélé qu’avant d’entrer en clandestinité, Manouchian « a demandé deux fois sa naturalisation pour pouvoir s’engager dans l’armée », rappelle Denis Peschanski. « C’est important symboliquement, quand on parle de l’entrée au Panthéon d’un étranger, communiste et amoureux de la France », complète Hugues Nancy.

L’histoire recèle donc encore des détails que seul le travail minutieux des historiens pouvait révéler. La documentaliste, Hélène Zinck, a fait un « travail remarquable », insiste le réalisateur. C’est elle qui, par exemple, a trouvé dans les archives de la préfecture de police un autre album « absolument incroyable : les Allemands y recensent à la fois les attentats réels des FTP-MOI et des reconstitutions qu’ils avaient faites eux-mêmes pour en garder la trace ».

L’historien, lui, met en avant « les agendas de la brigade spéciale numéro 2 des renseignements généraux, qui permettent une vision complète de l’importance politique et militaire de leur action ». La période, souvent traitée à la télévision, peut rendre le traitement en images un peu redondant, « mais la manière de les monter donne le sentiment de les redécouvrir ».

« Ils sont rentrés dans l’histoire grâce à cette affiche, puis grâce à Louis Aragon »

Le document qui donne son nom au film, l’Affiche rouge, est pour sa part devenu une icône de la Résistance et de l’histoire communiste. Car cette opération de propagande « destinée à montrer que la résistance est le fait des juifs, des métèques, des communistes, dans une thématique classique dénonçant le judéo-bolchevisme », précise Peschanski, s’est retournée contre les Allemands (et le Centre d’études anti-bolcheviques, mise en œuvre par des Français pour le compte de l’occupant).

Elle a suffi à « déclencher de la sympathie » chez les Parisiens et les Français qui n’en pouvaient plus de cette occupation. « Ils sont rentrés dans l’histoire grâce à cette affiche, puis grâce à Louis Aragon. Mélinée la première a dit que s’il n’y avait pas eu l’affiche, sans doute aurait-on oublié Missak et ses camarades », rappelle l’historien. « Elle avait raison : cette affiche a symbolisé le combat des FTP-MOI. Ils sont devenus des héros grâce à elle. »

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Manouchian et ceux de l’Affiche rouge racontent « l’engagement communiste de ces jeunes gens qui voulaient changer le monde » et aussi « la façon dont le PCF les a accueillis » dans des structures dédiées aux étrangers qui « permettaient leur intégration ».

Au final, il rappelle surtout – c’est toujours utile alors que le gouvernement actuel attaque le droit du sol et qu’on remet en cause les lois sur l’immigration – « la chance que sont les réfugiés politiques : une richesse pour le pays d’accueil », estime Hugues Nancy : « Ils sont la démonstration qu’on peut être réfugié et le premier à se battre pour la France et à mourir pour elle. »

Manouchian et ceux de l’Affiche rouge, France 2, 21 h 10

Serge Tateossian le 21/02/2024 Source : L’Humanité