109e commémoration du génocide des Arméniens

109e commémoration du génocide des Arméniens

Une fois n’est pas coutume, la désormais traditionnelle commémoration du génocide à l’Hôtel de Ville de Paris a démarré avec la projection d’un documentaire - Jardin noir - d’Alexis Pazoumian sur des réfugiés de l’Artsakh en Arménie, au temps du Blocus. Des images qui dépeignaient le martyre des Arméniens du Karabagh, alors même qu’Artak Beglaryan, ancien Défenseur des droits de la République du Haut-Karabagh, était présent à Paris, dans les salons de la mairie de Paris.

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C’est Ara Toranian, coprésident du CCAF, qui a enchaîné avec un premier discours offensif.
« Comment ne pas le relever ? Cette commémoration du génocide arménien est la première à se dérouler depuis le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh, qualifié aussi de génocide par le premier procureur à la cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo. Génocide en 1915, génocide en 2023 ? Une chose est claire : si les deux événements se différencient bien sûr par leur ampleur, ils se situent néanmoins dans une même logique. Celle de l’élimination du peuple arménien. De sa disparition physique. Un processus que l’ historien Vincent Duclert, président de la commission sur le Rwanda, et spécialiste s’il en est de la question, décrit comme un génocide long. Un concept qui ne signifie pas que 1915 n’était pas un génocide en tant que tel, aujourd’hui reconnu quasi unanimement par la communauté des États démocratiques. Mais un concept qui indique que ce génocide se poursuit sous diverses formes. Nous avons eu souvent l’occasion dans le passé, à cette même tribune, de dénoncer le négationnisme d’État de la Turquie en tant que continuation politique de 1915. Toutefois, plus explicite encore, est sa continuation sous la forme de violence physique. C’est ce que nous avons vécu avec les derniers événements. Guerre inégale, blocus, dépeuplement militaire du territoire.

Continuation du génocide également avec les menaces qui pèsent sur l’Arménie. Pression à ses frontières, occupation d’une partie de ses terres, chantage pour que, le pistolet sur la tempe, elle se renie, elle perde son âme en effaçant le Mont Ararat de ses armoiries, en modifiant sa constitution ou en changeant les paroles de son hymne national, et même en renonçant à la mémoire du génocide. Car c’est bien l’enjeu, évidemment et in fine pour le panturquisme.

Madame la Maire, vous le savez bien par votre engagement constant à nos côtés : Nous ne nous contentons pas le 24 avril de commémorer un crime contre l’humanité qui a fait 1 500 000 morts il y a 100 ans. Mais nous dénonçons aussi ses tentatives de parachèvement.

Et c’est en cela que cette cérémonie n’est pas seulement mémorielle, mais qu’elle participe aussi de la protection de ce qu’il reste de l’Arménie. Elle constitue notre quote-part à la survie de ce peuple martyrisé. Elle témoigne de notre solidarité avec une nation porteuse de nos valeurs démocratiques, universelles et humanistes. Elle exprime notre soutien à sa résistance pour la défense de ces valeurs qui sont aussi nos valeurs. Défense à dimension politique, car nous ne pouvons nous incliner devant la barbarie. Nous ne pouvons renoncer, face à la dictature, au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ou accepter de nouvelles amputations pour l’Arménie souveraine. Nous le pouvons d’autant moins que l’histoire, confirmée par l’actualité, ne laisse planer aucun doute quant à la réalité des objectifs du panturquisme, qui vise à reconstruire l’Empire ottoman, en opérant la jonction territoriale entre la Turquie et l’Azerbaïdjan, en occupant une nouvelle portion l’Arménie. Comme en 1915.
Non, rien n’a changé ! Ou si peu de choses. Nous commémorons aujourd’hui l’arrestation de l’élite politique arménienne, le 24 avril 1915, et son élimination qui a créé les conditions de l’entreprise d’extermination. Mais face à l’acutalité, comment ne pas évoquer, en ce moment même, l’emprisonnement de l’élite politique de l’Artstkah, qui a été méthodiquement conçu organisée et mise à exécution ? Serait-il possible ne pas penser aux trois derniers présidents de l’Artsakh emprisonnés ? Pourrait-on abandonner à son sort Arayik Haroutounian, dernier président en exercice de l’Artsarkh, que vous étiez allés rejoindre sur place, avant de le recevoir ici à l’Hôtel de Ville avec David Babayan, son conseiller à la Défense, ou avec David Ichranian, le président du Parlement ? Des personnalités formant l’élite politique contemporaine de la république du Haut-Karabakh, aujourd’hui incarcérées, coupées du monde, dans une zone de non-droit, à la merci de leur bourreau.

Permettez-moi aussi de rappeler la situation terrifiante de Ruben Vardanyan, ce philanthrope, ami de Bernard Kouchner, de George Clooney, fondateur du prix Aurora, qui depuis neuf ans récompense et subventionne les meilleurs programmes humanitaires dans le monde. Comment ne pas trembler pour cet humaniste hors norme, également soumis à l’isolement, et dont on a appris avec deux semaines de retard, qu’il avait commencé une grève de la faim le 5 avril pour faire respecter ses droits et demander la libération de tous les prisonniers politiques.

Combat héroïque qui se heurte toutefois au fanatisme du panturquisme, alimenté par l’impunité et par la certitude fondée sur l’expérience que le crime est payant. Est-il ainsi possible, comme vous l’avez signalé dans un article paru dans la Tribune du dimanche, qu’à peine le nettoyage ethnique du Karabakh terminé, on se soit empressé de désigner Bakou comme capital de la future COP 29, ce qui ne constitue rien d’autre qu’une prime internationale à ses exactions.

Cette mise à l’honneur du régime Aliev, constitue un ultime affront à nos valeurs et à la conscience humaine, qu’il convient de dénoncer comme vous l’avez fait. Et nous voulons croire que vous allez continuer à parler et à agir, comme d’autres régions s’y sont engagées, pour que ni la France ni aucun des pays démocratiques ne se rende complice de cette pantalonnade honteuse pour les droits de l’Homme ni ne la cautionne par sa présence, au moins tant que les 23 prisonniers politiques arméniens n’auront pas été libérés. Il est temps d’inverser la tendance, de relever la tête, comme vous avez eu le courage de le faire à plusieurs reprises, et de se donner les moyens de résister et d’imposer enfin nos conditions à la barbarie. »

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Mourad Papazian, coprésident du CCAF, a pris en suite la parole pour remercier Anne Hidalgo « notre camarade, une militante de notre cause avec laquelle nous réfléchissons » d’accepter « toutes nos demandes y compris celles mettant sa sécurité en danger. » Une allusion au déplacement de la maire, à la tête d’un convoi humanitaire, à la fin de l’été dernier pour apporter vivres de premières nécessité et médicaments au Arméniens de l’Artsakh, affamés par le blocus imposé par Aliev.

« Aujourd’hui, nous commémorons le 109e anniversaire du 24 avril, mais c’est le pire 24 avril depuis celui de 1915, assène M. Papazian. Car nos frères et sœurs d’Artsakh ont vécu la première épuration ethnique du XXIe siècle. On pensait après 1915 que nous revivrions plus jamais cela. » A cette catastrophe humanitaire s’ajoute désormais, explique-t-il, « la situation de l’Arménie contrainte de céder des territoires du Tavouch à Aliev qui continue sa pression et exige, par exemple, un changement de la constitution. Erdogan surenchérit en demandant le retrait de la mention du génocide dans la Loi fondamentale arménienne. » Mais il y a pire encore : c’est le sort des 23 prisonniers politiques retenus dans les geôles de Bakou.

Ce 24 avril doit forger notre esprit de résistance, « il est temps de dire non à Aliev et à Erdogan, nous devons mobiliser la communauté internationale pour préserver l’intégrité territoriale de l’Arménie et restaurer celle de l’Artsakh. » Le coprésident a conclu sur la situation des otages, et celle en particulier de Ruben Vardanyan, en grève de la faim depuis le 5 avril sans aucun encadrement médical. « Nous devons faire de cet homme-là et des 22 autres une priorité afin de les faire libérer rapidement. »


Serge Tateossian Le 26/04/2024 Source : Armenews