«Arménie, Irak, Syrie, Gaza... En 2023, la situation des chrétiens d’Orient s’est aggravée partout»
«Arménie, Irak, Syrie, Gaza… En 2023, la situation des chrétiens d’Orient s’est aggravée partout»
Par Ronan Planchon
Publié le 22/12/2023 à 11:56, mis à jour le 22/12/2023 à 16:36
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Plus de 100.000 Arméniens ont fui le Haut-Karabakh après l’offensive de l’Azerbaïdjan. DIEGO HERRERA CARCEDO / AFP
ENTRETIEN - Dans une indifférence relative ou à géométrie variable, le nombre de chrétiens d’Orient n’a cessé de diminuer cette année, alerte Tigrane Yégavian, chercheur à l’institut chrétiens d’Orient et auteur de «Minorités d’Orient les oubliés de l’Histoire» (Rocher).
Tigrane Yégavian est chercheur à l’institut chrétiens d’Orient, auteur de Minorités d’Orient les oubliés de l’Histoire (éd. du Rocher, 2019).
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LE FIGARO. - Irakiens, Arméniens Égyptiens, Libanais, Palestiniens, Syriens… En cette période de Noël, quelle est la situation des Chrétiens d’Orient ?
Tigrane YÉGÉVIAN. - La situation des chrétiens d’Orient est mauvaise. L’Arménie vient de perdre son berceau et son bouclier, à savoir l’Artsakh (le Haut Karabakh), suivi d’un nettoyage ethnique dans l’indifférence quasi générale de la communauté internationale, étant donné que ni l’UE ni les États-uniens n’ont appliqué un régime de sanctions contre le régime azerbaïdjanais agresseur. L’Église d’Irak s’est vidée de ses fidèles à hauteur de 90% . Ils étaient un peu plus d’un million avant l’invasion du pays par les Américains, ils ne sont à peine plus de 100.000 aujourd’hui. Les 10% restants sont plus divisés que jamais dans un contexte d’effondrement de l’État irakien. Les chrétiens de Syrie ont perdu environ la moitié des leurs. Ils ne se sont pas remis de la décennie de guerre, du régime de sanctions internationales suivi des effets désastreux du tremblement de terre. Le clergé syrien est épuisé par ces années de guerre, de privations et de sanctions qui empêchent d’entrevoir toute reconstruction, ni de se projeter dans l’avenir. Le sentiment d’abandon, de quête de sens est omniprésent, alors qu’objectivement dans le contexte dramatique actuel, ils n’ont plus que leur foi comme boussole.
Les chrétiens de Palestine sont pris dans un étau mortifère entre l’enclume islamiste et le marteau de l’occupation israélienne.
Tigrane Yégavian
L’effondrement de l’État libanais et de son économie pousse chaque année des dizaines de milliers de jeunes chrétiens diplômés à émigrer. Les chrétiens de Palestine sont pris dans un étau mortifère entre l’enclume islamiste et le marteau de l’occupation israélienne. Les chrétiens d’Égypte souffrent à la fois du sectarisme de la population et de la crise économique aggravée par les retombées de la guerre à Gaza. La petite communauté chrétienne de Gaza est à ce titre particulièrement éprouvée.
L’année 2023 a-t-elle marqué une amélioration de leur situation ou, au contraire, s’est-elle aggravée ?
La situation s’est objectivement aggravée sur tous les contextes cités, nous évoluons dans un contexte de mutations géopolitiques accélérées qui ne profite pas à la défense de l’altérité, au maintien d’écosystèmes vulnérables. Le cas de l’Arménie est assez parlant, voici un État enclavé, fragilisé, isolé, qui a perdu le soutien du protecteur russe qui a préféré se rapprocher de l’axe turco-azerbaidjanais afin de contourner les sanctions occidentales dans le cadre du conflit en Ukraine. On peut donc parler d’un effet de vases communicants.
L’offensive militaire azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh est-elle le symbole, de cette situation ?
Cette offensive a été le «coup de grâce» après neuf mois d’un blocus inhumain qui avait littéralement affamé la population (120.000 personnes). Rien n’a été entrepris pour casser ce blocus ; et la couverture médiatique du nettoyage ethnique a été assez rapidement éclipsée par celle du conflit à Gaza. Pourtant l’enjeu est important, il dépasse de loin le périmètre de quelques montagnes du sud du Caucase jonchées d’églises, de monastères voués à une destruction certaine si rien n’est entrepris pour protéger ce patrimoine pluri millénaire. On parle d’une région située sur l’axe principal des routes de la soie reliant des régions eurasiatiques riches en hydrocarbures en direction des marchés occidentaux. Plusieurs puissances ont intérêt à contrôler ces zones géostratégiques.
Le christianisme s’éteint à petit feu sans coup férir, sans massacres de masse.
Tigrane Yégavian
Depuis le début de la guerre qui oppose Israël au Hamas, les chrétiens de Gaza ont été contraints de se réfugier dans les deux seules églises encore ouvertes dans la ville… Existe-t-il une forme d’indifférence, selon vous, sur le sort de ces populations ? Comment l’expliquer ?
Indifférence relative ou à géométrie variable. Ignorance certainement. Car nous vivons dans des sociétés déchristianisées qui ignorent tout ou presque des fonts baptismaux de l’Europe. Le général de Gaulle ne manquait pas de rappeler que si la République est laïque, la France demeure chrétienne. Or, il s’agit d’une religion orientale qui est venue jusqu’à nous grâce aux pères de l’Église la plupart étaient ce que l’on appelle des chrétiens d’Orient.
Et puis pour qu’il y ait un intérêt des médias, de l’opinion publique, il faut nécessairement une actualité qui soit vendable. Or, le christianisme s’éteint à petit feu sans coup férir, sans massacres de masse. Si l’invasion de la plaine de Ninive dans le nord de l’Irak en 2014 par les sicaires de Daech avait suscité une vague d’émotion assez significative, surtout dans les rangs de la droite française ; on ne peut pas dire qu’il y a eu une mobilisation comparable pour l’Artsakh en septembre 2023. Seule ombre d’espoir dans ce tableau, le maintien dans des conditions héroïques des écoles chrétiennes, vecteur et actrices du vivre ensemble dans des sociétés profondément déchirées, le dynamisme du tissu associatif chrétien en Syrie, au Liban, le dynamisme des ONG qui leur vient en aide comme L’Œuvre d’Orient, Aide à Églises en détresse, etc.