Arménie : Si je t’oublie Erevan, par Jean-Michel Blanquer

Serge Tateossian le 02/03/2024 Source : Le point

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Le Point.fr, no. 202402 International, vendredi 1 mars 2024 764 mots Arménie : Si je t’oublie Erevan, par Jean-Michel Blanquer

Par Jean-Michel Blanquer

Menacée par l’Azerbaïdjan, la République du Caucase bénéficie désormais d’un soutien militaire français pour assurer sa défense. Un rapprochement illustré par la visite du ministre des Armées à Erevan.

Le nom d’Anatole France brille sur la petite plaque battue par les vents. Au milieu d’autres noms de héros ou de soutiens de l’Arménie, à quelques dizaines de mètres du mausolée qui commémore les victimes du génocide qui ouvrit le XXe siècle, il rappelle la tradition française de soutien au petit pays perclus de souffrances. On les appelait les « arménophiles » : Péguy, Jaurès, Clemenceau, France lui-même et bien d’autres, horrifiés par les massacres ordonnés par le sultan dès 1894. On retrouvera les mêmes, exactement les mêmes, pour défendre le capitaine Dreyfus peu de temps après. La boussole des Juifs comme celle des Arméniens ne s’y trompa pas. C’est vers cette République française, république des lettres, république des droits, république de la fraternité, qu’ils affluèrent quand il fallut ensuite fuir les pogroms et les persécutions.

Notre petite troupe était partie la veille dans un avion militaire pour accompagner Sébastien Lecornu et une cargaison de jumelles de vue nocturne, en avant-garde des prochaines livraisons de matériel dont l’Arménie a tant besoin pour se défendre. Tel un gros scarabée volant, notre A400 M avait imposé sa silhouette rassurante sur l’aéroport d’Erevan. Sa couleur kaki disait tout de l’intention portée : celle d’une solidarité concrète, effective, pour que l’Arménie ne soit pas la proie facile de son voisin azerbaïdjanais conquérant.

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Comme tous les autoritarismes, celui d’Aliev n’est arrêté que par la force. Désormais, encouragé par le panturquisme d’Erdogan, il songe à un corridor au sud de l’Arménie pour se relier à la région du Nakhitchevan, elle-même limitrophe de la Turquie. Mais d’autres récits pourraient justifier des agressions plus amples encore. C’est l’existence même de l’Arménie que pourraient mettre en jeu ceux qui n’ont jamais reconnu le génocide pour mieux continuer à le perpétrer.

L’Arménie, un territoire clé

Dans ce contexte, le jeu des alliances doit évoluer. En Europe, la France a marqué la fin de l’indifférence coupable, entraînant dans son sillage les pays conscients de ce qui se joue politiquement mais aussi moralement. Deux États font exception : l’Italie et la Hongrie, liés à l’Azerbaïdjan par des intérêts économiques considérables. Seules les opinions publiques pourront faire varier cela. On ne peut guère compter sur le pape pour y changer quelque chose, trop occupé à donner des leçons depuis Marseille [en septembre 2023, NDLR] au pays qui l’accueillait plutôt qu’à alerter le monde sur un nettoyage ethnique qui se passait au même moment. Il faudra du volontarisme français pour faire basculer l’Europe du bon côté. Les parlementaires européens (comme Nathalie Loiseau et Ilana Cicurel, présentes dans ce déplacement) ont commencé le travail.

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L’Inde est l’autre point d’appui. C’est le seul pays à ce jour, en dehors de la Russie et de la France, qui fournit du matériel militaire. L’Arménie est un territoire clé dans un axe qui va du Golfe à la mer Noire. Plus que jamais, les intérêts de l’Inde convergent avec les nôtres à une échelle géopolitique globale qui relie l’aire indo-pacifique à l’Europe via le Caucase.

C’est cette vision d’ensemble qu’il faut désormais concevoir. Car la seule posture défensive ne peut sauver la donne. Et la vision pour le Caucase peut compléter la nouvelle distribution des cartes qui suivra les événement actuels au Moyen-Orient.

Israël fournit des armes à l’Azerbaïdjan

Comment accepter qu’Israël soit un soutien de l’Azerbaïdjan ? Par une realpolitik qui pourrait se transformer en boomerang, l’État hébreu a fourni l’Azerbaïdjan en armements de pointe, le considérant comme un allié important pour prendre l’Iran en tenaille. Cette situation provoque à son tour l’alliance paradoxale entre l’Arménie et l’Iran, soucieux d’une stabilité des frontières à ses portes.

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Demain, la région ne pourra progresser que par l’alliance des pôles démocratiques et par l’évolution interne des régimes comme c’est le cas actuellement en Arabie saoudite et comme cela pourrait arriver un jour en Turquie et en Iran.

Il faut pour cela une vision partagée au sein d’un « monde libre » qui ne se résume pas à l’Occident et englobe au contraire plusieurs acteurs du Sud importants. La notion de « Sud global » n’a en réalité pas de sens. Elle est agitée par ceux qui veulent une guerre des civilisations là où ce qui se joue en vérité est le combat éternel pour la liberté §