La France et l’Arménie concrétisent leur coopération de défense
La France et l’Arménie concrétisent leur coopération de défense Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, s’est rendu à Erevan, où des militaires français ont commencé à former des soldats arméniens
Élise Vincent
page 4 Erevan - envoyée spéciale - Sur le camp Baghramyan, un vaste terrain caillouteux situé sur les contreforts du massif de l’Aragats, à quelques kilomètres d’Erevan, capitale de l’Arménie, dix-sept militaires français se tiennent au garde à vous. Vendredi 23 février, face au ministre français des armées, Sébastien Lecornu – dont la visite sur le sol arménien constitue une première –, et de son homologue, Souren Papikian, ils expliquent la formation qu’ils ont commencé à dispenser à une trentaine de soldats arméniens, alignés à leurs côtés. Chaque mot est soupesé.
Principalement issu de la 27e brigade d’infanterie de montagne, ce détachement français est la première incarnation opérationnelle d’une coopération de défense encore embryonnaire, qui s’inscrit dans un contexte régional tendu. La Russie est d’ordinaire le principal parrain militaire d’Erevan. La formation au combat d’infanterie et de montagne des Arméniens a donc commencé dans la plus grande discrétion, début février. Elle doit durer seulement un mois.
M. Papikian a tenu à souligner, vendredi, lors d’une conférence de presse, que la présence de M. Lecornu n’était pas dirigée « contre un état tiers ». « Il ne faut pas convoquer la grande géopolitique » , a pour sa part tenté de déminer le Français interrogé sur cette incursion inédite de Paris dans la sphère d’influence russe.
Au-delà des liens historiques, le rapprochement de la France et de l’Arménie correspond avant tout à une volonté d’Erevan de « diversifier ses partenariats de défense » , explique Taline Papazian, docteure en science politique et enseignante à Sciences Po Aix. Une volonté née du choc de la guerre qui l’a opposé, à l’automne 2020, à son puissant voisin, l’Azerbaïdjan, dans le Haut-Karabakh. L’Arménie a perdu la guerre, au prix de nombreuses pertes, et s’est sentie trahie par la Russie. Un sentiment aggravé avec la reprise totale de l’enclave séparatiste, en novembre 2023, par l’Azerbaïdjan, lors d’une offensive éclair qui a vidé ce territoire de 100 000 Arméniens, sans que Moscou ne réagisse. Depuis lors, l’Arménie cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis de cet allié traditionnel.
Parer au plus pressé
Cette diversification des partenariats militaires d’Erevan n’a pas débuté avec la France. L’Arménie a d’abord prudemment commencé par l’Inde, en 2019, dont une grande partie des équipements sont d’origine soviétique et qui développe sa propre industrie de défense. En s’engageant concrètement avec Paris, quelques mois seulement après l’officialisation de ce rapprochement, en octobre 2023, Erevan a toutefois franchi un pas supplémentaire. Une étape qui s’est traduite avec l’annonce, faite vendredi par le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, du gel de sa participation à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), une alliance régionale diplomatico-militaire née en 2002 et dominée par Moscou, qui regroupe la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan.
Dans le cadre du nouveau partenariat avec Erevan, l’avion A400M, avec lequel M. Lecornu s’est posé en Arménie, convoyait la deuxième livraison de matériel militaire français après l’envoi, fin décembre 2023, de 24 blindés de type Bastion. Cette fois, Paris a livré des lots de jumelles Safran à vision nocturne. Des équipements limités, mais révélateurs d’une armée arménienne qui pare aujourd’hui au plus pressé pour sécuriser sa frontière avec l’Azerbaïdjan, alors que quatre soldats arméniens sont morts, le 13 février, lors d’échanges de tirs à la frontière entre les deux pays.
Vendredi, un contrat pour l’achat de fusils de précision a également été signé, ainsi qu’une convention avec l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, pour accueillir cinq militaires arméniens en 2024. D’ici à la fin décembre, un premier radar GM200 de chez Thales devrait enfin être livré. Ce dernier équipement est le plus sensible. Il ouvre potentiellement la voie à d’autres acquisitions dans le domaine de la défense sol-air, domaine dans lequel Paris aimerait bien se positionner. Erevan doit toutefois trouver les fonds. Son budget annuel de défense n’est que de 1,27 milliard d’euros, même si cette somme équivaut à plus de 5 % de son produit intérieur brut.
Serge Tateossian Le 28/06/2024 Source : Le Monde article paru le 25/02/2024