L’appel d’Elise Boghossian pour l’Arménie - Serge Tateossian 19/09/2022 - Source : Paris Match
L’appel d’Elise Boghossian pour l’Arménie
Elise Boghossian de retour d’Arménie. © DR
Elise Boghossian20/10/2020 à 18:23, Mis à jour le 20/10/2020 à 21:24
Française d’origine arménienne, Élise Boghossian est la fondatrice de l’ONG médicale Elisecare qui agit en zone de conflit, spécifiquement en Irak et en Syrie auprès des rescapés, des blessés de guerre, et des victimes du terrorisme.
« Depuis plusieurs mois, le ton utilisé par les dirigeants azéris laissait peu de doutes sur leurs intentions. De son côté, le président turc Recep Tayyip Erdogan ne ménageait pas ses attaques verbales contre l’Arménie et les Arméniens, jusqu’à affirmer : « Nous allons continuer d’accomplir la mission que nos ancêtres ont entreprise dans la région du Caucase ». Aucun Arménien ne peut se méprendre sur la signification de ces mots.C’est ainsi que depuis trois semaines, l’Arménie, plus ancien pays chrétien au monde est attaquée par l’Azerbaïdjian et l’amicale internationale djihadiste, sous la direction du plus expérimenté des chefs d’orchestre : la Turquie.
Les populations civiles et les agglomérations arméniennes ne sont pas épargnées . Et le récent cessez le feu imposé par la Russie n’y fait rien. L’Azerbaidjian continue de bombarder les réservoirs, les mines, les centrales hydroélectriques, les églises, les habitations, les écoles, les crèches, les hôpitaux. Avez-vous déjà visité l’Arménie ? Sauriez-vous la localiser sur une carte ? L’Arménie est un paradis aussi grand que la Belgique, coincé au milieu de géants assoiffés de pouvoir. L’Arménie est le pays des épices, celui des monastères millénaires nichés au creux des falaises et des montagnes, c’est le pays de la soie, de la culture, du savoir et du partage, celui de la joie et de la fête.
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L’Arménie est le pays des épices, celui des monastères millénaires nichés au creux des falaises et des montagnes, c’est le pays de la soie, de la culture, du savoir et du partage, celui de la joie et de la fête. © DR
Depuis trois semaines, les Arméniens du monde entier observent avec sidération cette guerre silencieuse qui s’apparente à un nettoyage éthnique. L’Arménie aux mille parfums porte désormais l’uniforme de la guerre. Au lieu d’embrasser leur amour, ses hommes embrassent les armes. L’Arménie combat seule, avec sa petite armée, face à un adversaire équipé d’armes sophistiquées ou interdites par le droit international, et recrutant à tour de bras des mercenaires en Libye, en Syrie, ou en Afghanistan. Il faut bien reconnaître à la Turquie le courage d’avancer à visage découvert.
L’Arménie est l’unique obstacle qui empêche une parfaite continuité territoriale d’un vaste empire de 200 à 250.000.000 d’habitants dont la Turquie serait le coeur et le cerveau
En se modernisant, l’ambition turque à moyen-long terme n’est pas seulement la reconquête de l’Empire ottoman ; le projet turc vise la fusion de la Turquie avec les pays musulmans turcophones du Caucase (Azerbaïdjan et autres minorités tatares) et d’Asie centrale (Turkménistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan). Depuis quelques années les officiers de ces pays sont directement instruits par les militaires turcs, et les écoles coraniques sont financées par le gouvernement d’Erdogan. L’Arménie est l’unique obstacle qui empêche une parfaite continuité territoriale d’un vaste empire de 200 à 250.000.000 d’habitants dont la Turquie serait le coeur et le cerveau, et dont les fondements sont déjà travaillés en profondeur.
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Elise Boghossian à gauche, avec les secouristes après une nuit de garde. © DR
Le don de soi est ce qu’on peut offrir de plus grand. Cela se traduit par le fait de passer ses valeurs avant sa propre vie. Cette soumission à leurs valeurs, les enfants des Survivants des grands massacres de 1915 la connaissent et la portent dans leurs gènes comme un devoir de mémoire. Cet héritage lie les Arméniens à leur patrie et à leur nation, y compris au péril de leur vie. Je fais moi-même partie de cette génération nourrie dès le berceau d’histoires imaginaires pour illustrer un royaume peuplé de parfums, mais aussi de fantômes et de souvenirs inconnus ou inaccessibles. Des âmes errantes qui ont pris racine à Bagdad, Alep, Beyrouth, Marseille, Buenos Aires. Ce cataclysme muet pour les oreilles d’un enfant qui vit et grandira avec une double identité sur sa terre d’accueil. C’est probablement la raison pour laquelle nous sommes nombreux à avoir compensé le traumatisme par la culture, la science, le droit, la médecine ou la poésie ; pour justement dire « Non, nous ne mourrons pas une seconde fois ».
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Comment avons-nous pu en arriver là ?
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Un siècle nous sépare du terrible génocide perpétré par les turcs et qui a coûté la vie à 1,5 million d’Arméniens, de Grecs et Assyrochaldéens. Un siècle plus tard, la haine des Arméniens continue d’être inculquée en Turquie dès la maternelle, dans les manuels scolaires, dans les discours officiels, et pour la Turquie, l’Azerbaïdjan est plus qu’un peuple frère. « Iki devlet, bir Millet» ont l’habitude de dire Bakou et Ankara : « Deux États, une nation ». D’ailleurs le couple Erdogan/Aliev ne se cache pas de proclamer « notre guerre est contre les Arméniens du monde entier, et cette anomalie chrétienne, nous la nettoierons de nos terres ».
Elle a apporté une ambulance et deux tonnes de matériel medical © DR
La France a-t-elle pris la mesure des enjeux qui sont en cause aujourd’hui ? L’Arménie est à un tournant décisif de son histoire. Un siècle après le génocide de 1915, les forces qui avaient été mises en branle pour exterminer le peuple arménien sont à nouveau à la manœuvre. La Turquie, qui au lieu de faire un travail de réconciliation entre les peuples comme l’a fait l’Allemagne après la Shoah, persiste et vient terminer le travail inachevé de 1915. Le Haut-Karabagh est un verrou stratégique. Si ce verrou tombe, l’Arménie tombera comme un domino, pour ensuite une Europe qui sera face à un continuum pan-turc et djihadiste. Ce que nos jeunes soldats sous-équipés défendent sur la ligne de front dans un rapport de force inégal et avec un héroïsme hors du commun, c’est bien sûr leurs terres, mais ils défendent aussi l’Europe.
L’Arménie ne sera jamais la terre du Jihad
En bombardant nos églises et en envoyant des islamistes sur nos terres, Erdogan et Alliev veulent créer un Jihad en Arménie et achever l’épuration ethnique de 1915. Les Arméniens ne toucheraient jamais à une mosquée, nous sommes un peuple Liberté qui respecte chaque homme pour ce qu’il est, sa culture, sa foi. Nous ne voulons convertir personne. Nous ne voulons pas d’expansion, nous ne demandons ni nos terres du passé, ni ce qui nous a été volé, spolié, ravagé, détruit. Nous voulons simplement vivre en paix sur nos terres, à choisir nous-même notre destin. L’Arménie n’est pas une dictature, l’Arménie n’est pas le pays de la peur. L’Arménie est une démocratie, le pays de la Paix et de l’Amour, et du parfum de nos montagnes.
L’Arménie ne sera jamais la terre du Jihad. Je le répète, les Arméniens n’aiment pas la guerre, mais ils sont prêts au sacrifice ultime de leur vie pour rester sur leur terre. Je pleure autant nos victimes que les morts en face, ces inconnus arrachés enfants à leur famille puis à leur terre, enrôlés, drogués et sacrifiés au nom d’une idéologie qui n’est pas la leur. Les Turcs partisans de la réconciliation souffrent eux aussi, ils ne se sentent plus en sécurité dans leur pays, car tous ceux qui s’opposent à la violence en se plaçant du côté des solutions pacifiques sont menacés de mort. Tout comme en guerre il ne peut y avoir de gagnant, n’oubliez pas qu’il n’y aura pas de perdant avec la Paix.Je supplie la France et la communauté internationale de ne pas être les spectateurs passifs de ce nouveau génocide. Ce qui nous lie, c’est notre Humanité commune, les Arméniens du monde entier veulent la Paix. Entendez-les.