OPINION : Entre Amour, IA et immigration, par Maitre Nathalie LEVASSEUR BOUQUET

OPINION : Entre Amour, IA et immigration, par Maitre Nathalie LEVASSEUR BOUQUET

8 décembre 2024

par

La rédaction

Actualités

©armenews.com

2024

« L’Arménie est un éclat de nous-mêmes ». « Ce qui me lie à l’Arménie, ce sont les liens intangibles de la mémoire, de l’esprit, du cœur et de l’âme. » Publiés en 2022 par la Revue des deux mondes, ces mots de Sylvain Tesson, écrivain, voyageur et essayiste Français, illustrent ma volonté de décrypter la question des flux migratoires sous ce prisme distinctif : entre Amour, IA et Immigration.

Récemment en clôture des Entretiens de Royaumont, ce personnage hors-norme s’est exprimé sur ce postulat : « L’Amour, la sensation que l’IA n’aura jamais ». Il l’a illustré de façon magistrale, égrainant avec brio des références historiques, littéraires et plus contemporaines. Son intervention est accessible sur internet, avec toutes celles où il s’engage pour l’Arménie, mais aussi pour l’Amour.

Descendante de réfugiés du génocide des Arméniens de 1915, ma famille m’a éduquée sur cette ligne. L’Amour fait partie de mon univers, avec également l’immigration. Arménienne par ma mère et normande par mon père, j’infuse des valeurs fortes, entre Occident et Orient. Depuis l’enfance, avec bien d’autres, j’ai été élevée sous les auspices de l’Amour de la France et de l’humanisme, avec des mots répétés en boucle tels que « Fais du bien à la France, et efforce toi de donner le meilleur ».

A l’aune de ce vécu, le défi est de conjuguer de façon structurante le respect indéfectible de la République et le métissage des spécificités propres aux origines. Une minorité présente dans le cadre des flux migratoires ne fonctionne pas sur cette ligne. Ce n’est pas structurant et joyeux, mais c’est ainsi. Chaque année, nous commémorons l’armistice de 1918. La France et tant de pays dans le monde sont en quête d’une telle concorde, sur ces enjeux. s’agissant des flux migratoires. La devise républicaine met notamment à l’honneur la Fraternité. Elle a rompu avec ce qui semblait réservé à la religion comme : « Aime ton prochain ». Toutefois, progressivement depuis 1905, de nouveaux opposants à la Laïcité occupent de plus en plus le terrain, avec des agissements parfois effroyables et barbares.
Aussi, lorsque sur certains flancs, la République s’enflamme, le cadre juridique ne doit-il pas être reconsidéré? L’IA pourrait-elle également être un recours ? Un procédé artificiel canalisant les déviances humaines serait-elle une solution techniquement possible ? Cela pas envisageable sur le plan éthique, mais un jour, la question pourrait être posée.

En l’état, notamment sur le plan juridique, l’un des défis à relever est de réconcilier Laïcité et Amour. Celui-ci être embrassé dans ces déclinaisons telles que solidarité, respect, tolérance, empathie, non-violence, recherche du bien commun. De ce fait, à ce jour, personne n’a été en mesure de m’expliquer en quoi l’Amour ne serait pas en congruence avec la Laïcité. Cet Amour n’est-il pas l’un des plus forts socles des chemins de vie ? Et pourtant, les mots tels que délinquance, insécurité, démission des parents, autorité, inondent les espaces médiatiques et la Toile. Les frontières du chaos ne sont plus très loins, non ?

Des punchlines illustrent pourquoi ce débat sociétal et régalien est placé sous le spectre de l’Amour et non de la Fraternité. Il y a eu : « La France. Aimez la ou quittez la », et : «  La France, tu l’aimes ou tu la quittes. ». Plus récemment, un Président de la République déclarait : « S’il y en a que cela gêne d’être en France…, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment pas ».

Un ouvrage récent, «  La France, tu l’aimes mais tu la quittes », présente une enquête auprès de représentants de la diaspora française musulmane. Ils exposent pourquoi et comment ils se considèrent discriminés et stigmatisés. Certes, les marges de progression de l’intégration restent significatives et la majorité de cette diaspora subit les actions d’une minorité qui ne fait pas du bien à la France. Toutefois, un tel sujet ne doit-il pas être traité en assumant une réalité ? Lors de chaque audience pénale, en particulier, en tant qu’avocats, magistrats, greffiers, ce que nous voyons et entendons ne traduit pas de la part de cette minorité, la moindre miette d’Amour pour la France et ceux qui la peuplent.

Pour cette raison, et pour mille autres également, la consécration de l’Amour en haut de la pyramide des textes fondamentaux, ne représente-t-elle pas un chantier méritant d’être lancé ?

Ce qui est en train de ce jouer dans le cadre de l’IA justifie mérite sans nul doute aussi de hisser l’Amour dans notre ordre juridique au rang auquel Sylvain Tesson le place sur le terrain de la vie. La mise en congruence doit être réalisée. L’urgence est de bien savoir ce qui doit être fait de tout cela, et pour quel résultat.

Dans ce paradigme, la situation spécifique des flux migratoires entre la France et l’Arménie est inspirante, la plupart de ce qui est ayant été bâti sur la base de ce socle. Les croisades ont conduit les Francs en Cilicie où les Arméniens s’étaient exilés. Cette enclave chrétienne les a rapidement séduits. Il y a tant d’histoires sur ces liens, ponctués notamment de mariages entre Francs et Arméniennes. Depuis, ces affinités n’ont jamais cessé de s’épanouir, notamment pendant la monarchie française. Aspirant à plus d’indépendance au sein de l’empire ottoman dès la fin du XIXème siècle, les Arméniens ont commencé à être victimes de massacres.

En 1915, un grand mouvement de réfugiés s’est déployé à travers le monde à la suite du Génocide d’un million et demi d’Arméniens, perpétué par les dirigeants turcs et leurs troupes. En France, la renaissance de cette diaspora s’est organisée autour d’organisations et d’associations « compatriotes » jouant un rôle majeur grâce à l’entraide. Lors de la deuxième Guerre mondiale, l’engagement massif des réfugiés dans la Résistance a abouti à l’émergence d’un mouvement arménophile, consacré par l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian et de son épouse.

Cela pouvant sembler caricatural et stigmatisant, les sorties de route seront rappelées. Dans mon téléphone, un cliché du procès de l’ASALA rappelle ce qui a été perpétré dans les années 80. Dans son film, « Une histoire de fous », le réalisateur Robert Guédiguian traduit les sentiments mitigés de la majorité de la diaspora arménienne face aux actions terroristes ayant porté atteinte à la France.

A l’évidence, cette diaspora dispose toutefois de marges de progression pour parvenir à une plus forte mobilisation des pouvoirs publics face aux agissements des Turcs et des Azéris. En même temps, son éducation, sa culture et ses valeurs, si particulières, la conduisent à s’adapter où qu’elle soit, malgré les horreurs subies.

Dans son livre «  Les neufs leçons du guerrier Maasaï », Xavier Perron publie une citation emblématique : « Je t’aime, mais pas plus que je ne m’aime moi-même ».
Cela n’exprime t-il pas que les mots Amour et Liberté peuvent être conjugués, en toute égalité ?

Même si l’Amour était hissé au rang d’une haute valeur laïque, tout le monde resterait libre d’aimer ou de ne pas aimer. Actuellement, n’est-il pas permis d’être ou de ne pas être fraternel ? Espérons que l’IA ne vienne jamais s’attaquer à cela. En l’état, les textes fondateurs font barrage.

Nathalie LEVASSEUR BOUQUET – Avocate au barreau de Paris – Secrétaire national de l’UMP chargée du droit et de la Justice (2002-2005)